La fascination pour le passé, un
thème dont les amateurs de Metal sont fiers. Nombreux sont les groupes, qu’ils
soient Folk, Pagan, Black, dont la musique s’ancre autour de cet attrait pour
des époques révolues et les légendes. Où mystères et folklore s’entremêlent
pour donner vie à des fantasmes historiques et mythologiques, et dont les
écoutes transportent l’auditeur vers de lointaines contrées. Malheureusement,
tous ne sont pas aussi guillerets. Je fais partie d’un de ces irréductibles
réfractaires à ces groupes de « Folk Pouêt-Pouêt » ou de « Pagan
nostalgique des guerriers blonds musclés et aux yeux bleus» (ces clichés
odieux), n’ayant jamais pu trouver de juste milieu entre les ambiances
artificielles créées par divers instruments traditionnels adornés de riffs
décidément lambda, ou justement du manque d’une réelle ambiance
« folklorique ».
Aujourd’hui, pour mon plus grand
plaisir, un petit groupe américain change la donne. Après une longue gestation
marquée par un changement de nom et de quelques démos, Obsequiae se lance dans
l’aventure en 2011 avec un premier full-length, Suspended in the Brume
of Eos, chez Bindrune Recordings ; un petit label débordant de
qualité ayant vu passer quelques superbes petits groupes axés Black/Folk Metal
(Alda, Falls of Rauros, Panopticon…). 4 ans plus tard, le groupe remet le
couvert avec Aria of Vernal Tombs, le sujet juteux de cette
chronique, chez 20 Buck Spin.
Et musicalement, ça donne
quoi ? Du pur caviar. Après 3 minutes magiques d’introduction par un
harpiste espagnol à la merci d’un doux écho, on rentre dans le vif du
sujet : cloches d’églises accompagnées de leads en arpèges elles aussi
délicieusement résonantes, on comprend directement qu’Obsequiae n’est pas un
« simple » groupe, mais le testament d’une époque médiévale révolue.
Tout, dans l’essence même du duo, tient à faire transpirer cette ambiance
mystico-historique.
Les guitares jouent admirablement
de la polyphonie typiquement médiévale : lors des passages mélodiques,
deux guitares leads jouent quasi-systématiquement des lignes différentes,
empilant les mélodies pour un résultat délectable et surprenant de maîtrise. Si Suspended in the Brume of Eos pêchait quelques fois par l’abus de
riffs plus faciles, Aria of Vernal Tombs témoigne de 4 ans de pure
maturation dans l’écriture de Tanner Anderson, variant son jeu en créant des
ambiances fantastiques avec aisance et classe. Aucun abus dans son grattage, de
la polyphonie à des riffs oscillant entre Doom pour le côté lent, harmonieux et
solennel ; et Black bien mélodique pour certains riffs en tremolo picking.
Aucune comparaison ne peut faire justice à ce jeu complet et évocateur, des
soli mélodiques d’une maestria impressionnante (« In the Absence of
Light », « Until All Ages Fall »,…) aux riffs d’une pureté
passionnante.
Obsequiae ne s’arrête pas, bien
sûr, à un simple gimmick guitaristique. Ce serait pure injustice de ne mentionner
cette basse (jouée par le batteur Neidhart von Reuental),
accompagnant constamment les riffs d’Anderson avec brio : souvent, elle
ajoute par exemple une nouvelle ligne mélodique distincte lors des contrepoints
des guitares, complétant les mélodies et augmentant ainsi la profondeur de
l’écriture, sans jamais se montrer hors-propos. Subtile, belle et par-dessus
tout efficace. Soniquement, quoique dans un autre style, elle me fait penser à
cette basse ronde et pleine de Gordon Haskell sur Lizard de King
Crimson, discrète mais vibrante. Elle accompagne avec brio cette batterie, ici
plutôt à l’avant-plan, au jeu qu’on ne peut qualifier de simple mais plutôt
« juste », servant par-dessus-tout à appuyer les riffs de guitares et
la basse qui se font un malin plaisir à jouer et s’entrecroiser sans fin.
Toute cette magie ne serait bien
sûr par possible sans une production exemplaire, et Aria.. fait
ici un bond considérable en qualité par rapport à Suspended.. : aucun instrument ne souffre sous un autre,
tout est admirablement à sa place. Dominant le tout, les vocaux criards
d’Anderson fusent et percent le spectre sonore avec un écho qui rappelle ce
côté low-fi du Black Metal, et évoquant métaphoriquement aussi ces bâtiments
religieux abandonnés du cover, comme si le chanteur se trouvait au milieu de
l’un d’eux. Un écho surplombant également les guitares, mais que l’on trouvera
aussi lors des interludes délectables à la harpe, ajoutant encore un peu de
féérie au tableau. Divers sons se feront aussi un plaisir d’accentuer les
ambiances fantastiques du disque : chœurs féminins discrets et envoûtants,
bruissements d’un ruisseau qui coule, une chouette qui hulule, de lointaines
litanies au milieu d’un couvent ; autant de sonorités transportant
aisément l’auditeur là où le veut le duo.
Pour parfaire le tout, et si vous
n’êtes pas encore convaincus, les thèmes du disque sont traités avec le plus
grand des respects. Loin d’une admiration bête et sans borne mais plus proche
d’une solennelle mélancolie, les paroles, rédigées dans un anglais impeccable
et bien évocateur des époques mystiques qu’elles visent, se feront un plaisir
de vous emmener en terres de légendes. Mythologie grecque, celtique galloise,
pratiques païennes et tendres évocations d’un passé lors duquel homme et nature
ne faisaient qu’un sont agréablement dépeint dans un vocabulaire volontairement
archaïque, ajoutant encore plus de corps au lyrisme du duo.
Loin d’avoir besoin d’instruments
folkloriques pour justifier son propos, Obsequiae amène l’essentiel : une
musique qui à son cœur transpire le Moyen-âge, les légendes et le fantastique.
Nulle nécessité de superflu, le duo fait parler l’essentiel : une voix
sépulcrale, des guitares dominées par l’écho des vieilles pierres ainsi qu’une
basse et une batterie supportant admirablement le tout. Avec Aria of
Vernal Tombs, Obsequiae fait parler la maturité et sort un album d’une
grande classe et d’une maîtrise à toute épreuve. Stylistiquement inclassable et
évocateur, nous avons là un des tous grands albums de l’année.
Lapin
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